Point S n°5

Nous avons cerné, dans les quatre précédents Points S1 le vocabulaire spécifique de la prévention sécuritaire dans notre domaine, les enjeux de l’analyse de risque, et les techniques à travailler en premier lieu avec nos membres pour qu’iels puissent assurer elleux-mêmes leur propre « safety ». Le troisième Point S traitait ainsi des parades et le quatrième numéro concernera les principales réchappes, à appliquer lorsque l’accident semble survenir, pour n’en faire qu’un incident ou, mieux, un exercice spontané. 

Ce cinquième opus ouvre la série des « Point S » qui mettront l’accent sur l’une ou l’autre des familles d’exercices, en commençant pour cette fois par la natation, et plus spécialement les précautions à prendre lorsque l’ont nage en profondeur, et qui nous sont inspirées non seulement de la longue tradition hébertiste mais également des cours certifiants de l’apnée sportive, suivis en août 2022 par l’autrice de ces lignes, pour le plus grand malheur de son oreille interne gauche.

Précautions pour la profondeur

Lorsque l’on entreprend de descendre en profondeur, s’y ajoutent les dangers liés à la pression, qui augmente rapidement (car l’eau est plus dense que l’air) : sous l’eau, la pression augmente au rythme de 1BAR tous les 10m (à 10m le corps subit donc 2BAR de pression, 3BAR à 20m etc.). Le barotraumatisme (traumatisme dû à la pression) est donc un danger non-négligeable, et ce bien avant que le manque d’oxygène représente un danger 2. Car au fur et à mesure que la pression de l’eau sur le corps augmente, le volume des gaz présents dans les cavités souples de l’organisme (poumons, trompes d’eustache) diminuera (voir l’image page suivante). Pour les poumons, cela ne constituera pas un problème. Mais pour le fragile mécanisme des oreilles, si. Les facteurs de risque qui mènent à un barotraumatisme sont les suivants :

Mauvais équilibre de pression

Il est essentiel d’équilibrer la pression à l’intérieur de l’oreille tout au long de la descente afin de compenser l’augmentation de la pression extérieure, de manière à ce que le volume des cavités des deux oreilles demeure similaire. Ainsi, les composantes fragiles de l’oreille (tympan, limaçon…) restent à l’abri de la pression qui les endommagerait, provoquant des lésions qui se répercuteraient sur l’audition (acouphènes, pertes d’audition) et l’équilibre (vertiges, pertes d’équilibre, nausées, vomissements) sans certitude quant à la guérison.

Plusieurs manœuvres de compensation/équilibrage de la pression existent. La plus ancienne et la plus connue est la manœuvre de Valsalva : il s’agit de pincer doucement les narines l’une contre l’autre, puis de souffler calmement par le nez tout en gardant les joues serrées. On ressent tout de suite que les trompes d’Eustache se dégagent et un « pop » se fait sentir dans les oreilles.

La manœuvre de Frenzel suppose quant à elle de relever la glotte à l’arrière de la gorge, puis de pincer les narines en relevant le tiers postérieur de la langue (comme pour prononcer le son « KE »). Cette surpression comprime l’air vers l’arrière de la gorge et de là, vers les trompes d’Eustache. Si le pincement de nez est omis, cette manœuvre peut être réalisée sans les mains.

 

La manœuvre de Toynbee consiste à avaler tout en pinçant les narines l’une contre l’autre, amenant le muscle situé au fond de la gorge à ouvrir la trompe d’Eustache. Cette méthode est moins efficace à la descente, mais au cas où, exceptionnellement, l’air ne puisse repasser de l’oreille moyenne vers la gorge au cours de la remontée, il peut être nécessaire de l’utiliser.

Chaque corps étant différent, chacun·e doit trouver la méthode qui lui convient le mieux. La technique doit être maîtrisée avant la plongée – il s’agit donc de l’une des premières choses à apprendre à vos participant·e·s en natation.

De plus, lors de la plongée, la concentration des nageur·euses peut être distraite par les aspects techniques – nager, être hydrodynamique (garder la tête dans l’alignement du corps), descendre en « canard »… – il importe donc d’avoir anticipé l’équilibrage dès la surface, avant de descendre. Cela permet de détecter si quelque chose coince (certaines personnes peuvent avoir des trompes d’Eustache plus petites ou partiellement obstruées) et, d’autre part, l’équilibrage en surface permet de placer un petit coussin d’air derrière le tympan, qui facilitera les compensations ultérieures.

Équilibrage forcé

Face aux problèmes de compensation évoqués ci-dessus, certaines personnes pourraient être tentées de forcer l’équilibrage. Dans la manœuvre de Valsalva en particulier, le diaphragme force l’air vers les trompe d’Eustaches, et en « poussant plus fort », on peut chercher à forcer le passage de l’air. On crée alors soi-même un barotraumatisme : la pression augmente non plus suite à la densité de l’eau qui nous entoure, mais à l’intérieur même de l’organisme – et endommage l’appareil auditif.

Il est donc essentiel de respecter les limites du corps : réaliser la manœuvre avec une douceur absolue, et si le « pop » ne se fait pas, remonter sagement à la surface en renonçant à la plongée afin d’éviter les conséquences douloureuses, désagréables et handicapantes qui pourraient s’ensuivre d’un forçage.

  1. publiés dans les revues de 2016 et 2017 ainsi qu’en 2022[]
  2. []